4242 shaares
2 résultats
taggé
langage
Extrait d’un entretien avec Jean Szlamowicz, professeur de linguistique
« L'écriture inclusive n'existe que par la bonne volonté de certains décideurs convaincus qu'il faut adopter cette mode pour ne pas être ringardisé. […] On la trouve essentiellement dans certains milieux sociaux qui s'imaginent être "progressistes" : c'est avant tout une image de soi que l'on propage avec l'écriture inclusive. Ce narcissisme idéologique consiste à montrer que l'on est une bonne personne et que l'on est au courant des dernières tendances du conformisme idéologique. »
« L'écriture inclusive pose une question de fond : si on l'accepte, alors cela signifie qu'il n'y a plus de référence commune. Chacun peut alors introduire sa préférence comme norme et imposer sa pratique au nom de la cause qu'il défend. C'est introduire une forme de séparatisme dans les usages collectifs, ce que l'institution ne peut accepter sans faire exploser ses propres cadres. Par ailleurs, l'écriture inclusive signale une opinion idéologique, ce qui est discriminatoire – qu'on songe au signalement politique que cela représente sur une copie d'examen. La conventionalité et l'arbitraire de l'orthographe protègent justement des interprétations idéologiques sauvages et de l'interventionnisme militant. »
« Et que penser des langues sans genre comme le persan ou le finnois, le turc ou le vietnamien? Leurs locuteurs auraient-ils du mal à distinguer les femmes des hommes ? […] L'inclusivisme décrète que l'on devrait aligner les formes grammaticales sur l'identité sexuelle, mais les langues ne fonctionnent pas ainsi. C'est pareil pour le pluriel : on renvoie à une pluralité de personnes, il s'accorde pourtant au singulier et personne n'en tire une interprétation psycho-idéologique. De la même manière que le nombre grammatical n'est pas le nombre mathématique, le "genre" grammatical n'est pas le genre sexuel. »
« L'écriture inclusive n'existe que par la bonne volonté de certains décideurs convaincus qu'il faut adopter cette mode pour ne pas être ringardisé. […] On la trouve essentiellement dans certains milieux sociaux qui s'imaginent être "progressistes" : c'est avant tout une image de soi que l'on propage avec l'écriture inclusive. Ce narcissisme idéologique consiste à montrer que l'on est une bonne personne et que l'on est au courant des dernières tendances du conformisme idéologique. »
« L'écriture inclusive pose une question de fond : si on l'accepte, alors cela signifie qu'il n'y a plus de référence commune. Chacun peut alors introduire sa préférence comme norme et imposer sa pratique au nom de la cause qu'il défend. C'est introduire une forme de séparatisme dans les usages collectifs, ce que l'institution ne peut accepter sans faire exploser ses propres cadres. Par ailleurs, l'écriture inclusive signale une opinion idéologique, ce qui est discriminatoire – qu'on songe au signalement politique que cela représente sur une copie d'examen. La conventionalité et l'arbitraire de l'orthographe protègent justement des interprétations idéologiques sauvages et de l'interventionnisme militant. »
« Et que penser des langues sans genre comme le persan ou le finnois, le turc ou le vietnamien? Leurs locuteurs auraient-ils du mal à distinguer les femmes des hommes ? […] L'inclusivisme décrète que l'on devrait aligner les formes grammaticales sur l'identité sexuelle, mais les langues ne fonctionnent pas ainsi. C'est pareil pour le pluriel : on renvoie à une pluralité de personnes, il s'accorde pourtant au singulier et personne n'en tire une interprétation psycho-idéologique. De la même manière que le nombre grammatical n'est pas le nombre mathématique, le "genre" grammatical n'est pas le genre sexuel. »
Entretien avec Pascal Gygax, directeur de l'équipe de psycholinguistique et psychologie sociale appliquée de l'université de Fribourg (Suisse).
«Le fait que la forme masculine génère des représentations masculines fait consensus en psychologie expérimentale », affirme-t-il. « Nos travaux en psycholinguistique – comme ceux menés en Angleterre et aux États-Unis dès les années 1970 – montrent que le cerveau va au plus simple, au plus fréquent et au premier sens appris, c'est-à-dire le masculin dit spécifique », par opposition au masculin générique, explique-t-il. « D'ailleurs », précise-t-il, « les filles, à qui l'on s'adresse dès la naissance en utilisant le féminin, vont invariablement et plus rapidement assimiler le masculin à l'autre, c'est-à-dire à l'homme » ; « l'inverse, le neutre donc, est tellement complexe et contre-intuitif que le cerveau ne valide pas spontanément cette version ».
On a quand même du mal à croire que la réalité ne soit pas un peu plus complexe. Selon qu'on parle des professeurs des écoles ou des chauffeurs de bus, est-ce qu'on ne pensera pas plus ou moins facilement à des femmes, du fait de l'expérience ou des clichés ? De plus, ne pense-on pas le plus souvent à des hommes à l'évocation des élites qui gouvernent le monde des affaires, ou des sentinelles qui surveillent une enceinte militaire – bien que les termes qui les désignent ici soient féminins ? On rappellera, pour finir, qu'en allemand, le mot "fille" est… neutre, preuve que l'association entre le sexe des individus et le genre grammatical n'a rien d'évident.
Peut-être ces nuances apparaissent-elles dans le livre publié par ce chercheur. Mais il n'en est rien dans cette interview. Et pour cause : sa démarche semble avant tout militante. « Nous sommes des scientifiques et n'avons pas de recommandations à émettre », se défend-il. « En revanche », poursuit-il aussitôt, « nous pouvons dire que si l'on souhaite sortir du prisme masculin, il faut envisager des changements de pratiques et démasculiniser le langage en utilisant les différents outils que propose l'écriture inclusive ». De son point de vue, « le langage est un outil quotidien et concret de lutte contre les inégalités » ; « on pourrait même imaginer que le féminin devienne universel ! L'université de Neuchâtel (Suisse) rédige ainsi tous ses règlements au féminin avec une note précisant qu'il s'applique aussi aux hommes » ! « Mais si les formulations androcentrées demeurent malgré tout », conclut-il, « c'est parce qu'elles plaisent probablement encore à certaines personnes ».
De là à dénoncer un complot du patriarcat, il n'y a qu'un pas. N'est-ce pas se méprendre sur la nature même de la langue, et sur les ressorts de son évolution, que de suggérer qu'ils soient le fruit d'une volontés conscientes et délibérées, même si celles-ci ne sont pas sans influence bien sûr, comme on l'observe ces temps-ci, avec la prolifération des doublets du type "celles-et-ceux" ?
«Le fait que la forme masculine génère des représentations masculines fait consensus en psychologie expérimentale », affirme-t-il. « Nos travaux en psycholinguistique – comme ceux menés en Angleterre et aux États-Unis dès les années 1970 – montrent que le cerveau va au plus simple, au plus fréquent et au premier sens appris, c'est-à-dire le masculin dit spécifique », par opposition au masculin générique, explique-t-il. « D'ailleurs », précise-t-il, « les filles, à qui l'on s'adresse dès la naissance en utilisant le féminin, vont invariablement et plus rapidement assimiler le masculin à l'autre, c'est-à-dire à l'homme » ; « l'inverse, le neutre donc, est tellement complexe et contre-intuitif que le cerveau ne valide pas spontanément cette version ».
On a quand même du mal à croire que la réalité ne soit pas un peu plus complexe. Selon qu'on parle des professeurs des écoles ou des chauffeurs de bus, est-ce qu'on ne pensera pas plus ou moins facilement à des femmes, du fait de l'expérience ou des clichés ? De plus, ne pense-on pas le plus souvent à des hommes à l'évocation des élites qui gouvernent le monde des affaires, ou des sentinelles qui surveillent une enceinte militaire – bien que les termes qui les désignent ici soient féminins ? On rappellera, pour finir, qu'en allemand, le mot "fille" est… neutre, preuve que l'association entre le sexe des individus et le genre grammatical n'a rien d'évident.
Peut-être ces nuances apparaissent-elles dans le livre publié par ce chercheur. Mais il n'en est rien dans cette interview. Et pour cause : sa démarche semble avant tout militante. « Nous sommes des scientifiques et n'avons pas de recommandations à émettre », se défend-il. « En revanche », poursuit-il aussitôt, « nous pouvons dire que si l'on souhaite sortir du prisme masculin, il faut envisager des changements de pratiques et démasculiniser le langage en utilisant les différents outils que propose l'écriture inclusive ». De son point de vue, « le langage est un outil quotidien et concret de lutte contre les inégalités » ; « on pourrait même imaginer que le féminin devienne universel ! L'université de Neuchâtel (Suisse) rédige ainsi tous ses règlements au féminin avec une note précisant qu'il s'applique aussi aux hommes » ! « Mais si les formulations androcentrées demeurent malgré tout », conclut-il, « c'est parce qu'elles plaisent probablement encore à certaines personnes ».
De là à dénoncer un complot du patriarcat, il n'y a qu'un pas. N'est-ce pas se méprendre sur la nature même de la langue, et sur les ressorts de son évolution, que de suggérer qu'ils soient le fruit d'une volontés conscientes et délibérées, même si celles-ci ne sont pas sans influence bien sûr, comme on l'observe ces temps-ci, avec la prolifération des doublets du type "celles-et-ceux" ?