4206 shaares
Entretien avec Pascal Gygax, directeur de l'équipe de psycholinguistique et psychologie sociale appliquée de l'université de Fribourg (Suisse).
«Le fait que la forme masculine génère des représentations masculines fait consensus en psychologie expérimentale », affirme-t-il. « Nos travaux en psycholinguistique – comme ceux menés en Angleterre et aux États-Unis dès les années 1970 – montrent que le cerveau va au plus simple, au plus fréquent et au premier sens appris, c'est-à-dire le masculin dit spécifique », par opposition au masculin générique, explique-t-il. « D'ailleurs », précise-t-il, « les filles, à qui l'on s'adresse dès la naissance en utilisant le féminin, vont invariablement et plus rapidement assimiler le masculin à l'autre, c'est-à-dire à l'homme » ; « l'inverse, le neutre donc, est tellement complexe et contre-intuitif que le cerveau ne valide pas spontanément cette version ».
On a quand même du mal à croire que la réalité ne soit pas un peu plus complexe. Selon qu'on parle des professeurs des écoles ou des chauffeurs de bus, est-ce qu'on ne pensera pas plus ou moins facilement à des femmes, du fait de l'expérience ou des clichés ? De plus, ne pense-on pas le plus souvent à des hommes à l'évocation des élites qui gouvernent le monde des affaires, ou des sentinelles qui surveillent une enceinte militaire – bien que les termes qui les désignent ici soient féminins ? On rappellera, pour finir, qu'en allemand, le mot "fille" est… neutre, preuve que l'association entre le sexe des individus et le genre grammatical n'a rien d'évident.
Peut-être ces nuances apparaissent-elles dans le livre publié par ce chercheur. Mais il n'en est rien dans cette interview. Et pour cause : sa démarche semble avant tout militante. « Nous sommes des scientifiques et n'avons pas de recommandations à émettre », se défend-il. « En revanche », poursuit-il aussitôt, « nous pouvons dire que si l'on souhaite sortir du prisme masculin, il faut envisager des changements de pratiques et démasculiniser le langage en utilisant les différents outils que propose l'écriture inclusive ». De son point de vue, « le langage est un outil quotidien et concret de lutte contre les inégalités » ; « on pourrait même imaginer que le féminin devienne universel ! L'université de Neuchâtel (Suisse) rédige ainsi tous ses règlements au féminin avec une note précisant qu'il s'applique aussi aux hommes » ! « Mais si les formulations androcentrées demeurent malgré tout », conclut-il, « c'est parce qu'elles plaisent probablement encore à certaines personnes ».
De là à dénoncer un complot du patriarcat, il n'y a qu'un pas. N'est-ce pas se méprendre sur la nature même de la langue, et sur les ressorts de son évolution, que de suggérer qu'ils soient le fruit d'une volontés conscientes et délibérées, même si celles-ci ne sont pas sans influence bien sûr, comme on l'observe ces temps-ci, avec la prolifération des doublets du type "celles-et-ceux" ?
«Le fait que la forme masculine génère des représentations masculines fait consensus en psychologie expérimentale », affirme-t-il. « Nos travaux en psycholinguistique – comme ceux menés en Angleterre et aux États-Unis dès les années 1970 – montrent que le cerveau va au plus simple, au plus fréquent et au premier sens appris, c'est-à-dire le masculin dit spécifique », par opposition au masculin générique, explique-t-il. « D'ailleurs », précise-t-il, « les filles, à qui l'on s'adresse dès la naissance en utilisant le féminin, vont invariablement et plus rapidement assimiler le masculin à l'autre, c'est-à-dire à l'homme » ; « l'inverse, le neutre donc, est tellement complexe et contre-intuitif que le cerveau ne valide pas spontanément cette version ».
On a quand même du mal à croire que la réalité ne soit pas un peu plus complexe. Selon qu'on parle des professeurs des écoles ou des chauffeurs de bus, est-ce qu'on ne pensera pas plus ou moins facilement à des femmes, du fait de l'expérience ou des clichés ? De plus, ne pense-on pas le plus souvent à des hommes à l'évocation des élites qui gouvernent le monde des affaires, ou des sentinelles qui surveillent une enceinte militaire – bien que les termes qui les désignent ici soient féminins ? On rappellera, pour finir, qu'en allemand, le mot "fille" est… neutre, preuve que l'association entre le sexe des individus et le genre grammatical n'a rien d'évident.
Peut-être ces nuances apparaissent-elles dans le livre publié par ce chercheur. Mais il n'en est rien dans cette interview. Et pour cause : sa démarche semble avant tout militante. « Nous sommes des scientifiques et n'avons pas de recommandations à émettre », se défend-il. « En revanche », poursuit-il aussitôt, « nous pouvons dire que si l'on souhaite sortir du prisme masculin, il faut envisager des changements de pratiques et démasculiniser le langage en utilisant les différents outils que propose l'écriture inclusive ». De son point de vue, « le langage est un outil quotidien et concret de lutte contre les inégalités » ; « on pourrait même imaginer que le féminin devienne universel ! L'université de Neuchâtel (Suisse) rédige ainsi tous ses règlements au féminin avec une note précisant qu'il s'applique aussi aux hommes » ! « Mais si les formulations androcentrées demeurent malgré tout », conclut-il, « c'est parce qu'elles plaisent probablement encore à certaines personnes ».
De là à dénoncer un complot du patriarcat, il n'y a qu'un pas. N'est-ce pas se méprendre sur la nature même de la langue, et sur les ressorts de son évolution, que de suggérer qu'ils soient le fruit d'une volontés conscientes et délibérées, même si celles-ci ne sont pas sans influence bien sûr, comme on l'observe ces temps-ci, avec la prolifération des doublets du type "celles-et-ceux" ?