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Extrait d’un entretien avec Jean Szlamowicz, professeur de linguistique
« L'écriture inclusive n'existe que par la bonne volonté de certains décideurs convaincus qu'il faut adopter cette mode pour ne pas être ringardisé. […] On la trouve essentiellement dans certains milieux sociaux qui s'imaginent être "progressistes" : c'est avant tout une image de soi que l'on propage avec l'écriture inclusive. Ce narcissisme idéologique consiste à montrer que l'on est une bonne personne et que l'on est au courant des dernières tendances du conformisme idéologique. »
« L'écriture inclusive pose une question de fond : si on l'accepte, alors cela signifie qu'il n'y a plus de référence commune. Chacun peut alors introduire sa préférence comme norme et imposer sa pratique au nom de la cause qu'il défend. C'est introduire une forme de séparatisme dans les usages collectifs, ce que l'institution ne peut accepter sans faire exploser ses propres cadres. Par ailleurs, l'écriture inclusive signale une opinion idéologique, ce qui est discriminatoire – qu'on songe au signalement politique que cela représente sur une copie d'examen. La conventionalité et l'arbitraire de l'orthographe protègent justement des interprétations idéologiques sauvages et de l'interventionnisme militant. »
« Et que penser des langues sans genre comme le persan ou le finnois, le turc ou le vietnamien? Leurs locuteurs auraient-ils du mal à distinguer les femmes des hommes ? […] L'inclusivisme décrète que l'on devrait aligner les formes grammaticales sur l'identité sexuelle, mais les langues ne fonctionnent pas ainsi. C'est pareil pour le pluriel : on renvoie à une pluralité de personnes, il s'accorde pourtant au singulier et personne n'en tire une interprétation psycho-idéologique. De la même manière que le nombre grammatical n'est pas le nombre mathématique, le "genre" grammatical n'est pas le genre sexuel. »
« L'écriture inclusive n'existe que par la bonne volonté de certains décideurs convaincus qu'il faut adopter cette mode pour ne pas être ringardisé. […] On la trouve essentiellement dans certains milieux sociaux qui s'imaginent être "progressistes" : c'est avant tout une image de soi que l'on propage avec l'écriture inclusive. Ce narcissisme idéologique consiste à montrer que l'on est une bonne personne et que l'on est au courant des dernières tendances du conformisme idéologique. »
« L'écriture inclusive pose une question de fond : si on l'accepte, alors cela signifie qu'il n'y a plus de référence commune. Chacun peut alors introduire sa préférence comme norme et imposer sa pratique au nom de la cause qu'il défend. C'est introduire une forme de séparatisme dans les usages collectifs, ce que l'institution ne peut accepter sans faire exploser ses propres cadres. Par ailleurs, l'écriture inclusive signale une opinion idéologique, ce qui est discriminatoire – qu'on songe au signalement politique que cela représente sur une copie d'examen. La conventionalité et l'arbitraire de l'orthographe protègent justement des interprétations idéologiques sauvages et de l'interventionnisme militant. »
« Et que penser des langues sans genre comme le persan ou le finnois, le turc ou le vietnamien? Leurs locuteurs auraient-ils du mal à distinguer les femmes des hommes ? […] L'inclusivisme décrète que l'on devrait aligner les formes grammaticales sur l'identité sexuelle, mais les langues ne fonctionnent pas ainsi. C'est pareil pour le pluriel : on renvoie à une pluralité de personnes, il s'accorde pourtant au singulier et personne n'en tire une interprétation psycho-idéologique. De la même manière que le nombre grammatical n'est pas le nombre mathématique, le "genre" grammatical n'est pas le genre sexuel. »
« Sciences Po Lyon condamne avec la plus grande fermeté l'intimidation et les violences verbales dont ont été victimes les participant.e.s, les étudiant.e.s de Volonterre ainsi que leurs invités, Julien Bayou et des membres de Youth for Climate Lyon. »
Entretien avec Pascal Gygax, directeur de l'équipe de psycholinguistique et psychologie sociale appliquée de l'université de Fribourg (Suisse).
«Le fait que la forme masculine génère des représentations masculines fait consensus en psychologie expérimentale », affirme-t-il. « Nos travaux en psycholinguistique – comme ceux menés en Angleterre et aux États-Unis dès les années 1970 – montrent que le cerveau va au plus simple, au plus fréquent et au premier sens appris, c'est-à-dire le masculin dit spécifique », par opposition au masculin générique, explique-t-il. « D'ailleurs », précise-t-il, « les filles, à qui l'on s'adresse dès la naissance en utilisant le féminin, vont invariablement et plus rapidement assimiler le masculin à l'autre, c'est-à-dire à l'homme » ; « l'inverse, le neutre donc, est tellement complexe et contre-intuitif que le cerveau ne valide pas spontanément cette version ».
On a quand même du mal à croire que la réalité ne soit pas un peu plus complexe. Selon qu'on parle des professeurs des écoles ou des chauffeurs de bus, est-ce qu'on ne pensera pas plus ou moins facilement à des femmes, du fait de l'expérience ou des clichés ? De plus, ne pense-on pas le plus souvent à des hommes à l'évocation des élites qui gouvernent le monde des affaires, ou des sentinelles qui surveillent une enceinte militaire – bien que les termes qui les désignent ici soient féminins ? On rappellera, pour finir, qu'en allemand, le mot "fille" est… neutre, preuve que l'association entre le sexe des individus et le genre grammatical n'a rien d'évident.
Peut-être ces nuances apparaissent-elles dans le livre publié par ce chercheur. Mais il n'en est rien dans cette interview. Et pour cause : sa démarche semble avant tout militante. « Nous sommes des scientifiques et n'avons pas de recommandations à émettre », se défend-il. « En revanche », poursuit-il aussitôt, « nous pouvons dire que si l'on souhaite sortir du prisme masculin, il faut envisager des changements de pratiques et démasculiniser le langage en utilisant les différents outils que propose l'écriture inclusive ». De son point de vue, « le langage est un outil quotidien et concret de lutte contre les inégalités » ; « on pourrait même imaginer que le féminin devienne universel ! L'université de Neuchâtel (Suisse) rédige ainsi tous ses règlements au féminin avec une note précisant qu'il s'applique aussi aux hommes » ! « Mais si les formulations androcentrées demeurent malgré tout », conclut-il, « c'est parce qu'elles plaisent probablement encore à certaines personnes ».
De là à dénoncer un complot du patriarcat, il n'y a qu'un pas. N'est-ce pas se méprendre sur la nature même de la langue, et sur les ressorts de son évolution, que de suggérer qu'ils soient le fruit d'une volontés conscientes et délibérées, même si celles-ci ne sont pas sans influence bien sûr, comme on l'observe ces temps-ci, avec la prolifération des doublets du type "celles-et-ceux" ?
«Le fait que la forme masculine génère des représentations masculines fait consensus en psychologie expérimentale », affirme-t-il. « Nos travaux en psycholinguistique – comme ceux menés en Angleterre et aux États-Unis dès les années 1970 – montrent que le cerveau va au plus simple, au plus fréquent et au premier sens appris, c'est-à-dire le masculin dit spécifique », par opposition au masculin générique, explique-t-il. « D'ailleurs », précise-t-il, « les filles, à qui l'on s'adresse dès la naissance en utilisant le féminin, vont invariablement et plus rapidement assimiler le masculin à l'autre, c'est-à-dire à l'homme » ; « l'inverse, le neutre donc, est tellement complexe et contre-intuitif que le cerveau ne valide pas spontanément cette version ».
On a quand même du mal à croire que la réalité ne soit pas un peu plus complexe. Selon qu'on parle des professeurs des écoles ou des chauffeurs de bus, est-ce qu'on ne pensera pas plus ou moins facilement à des femmes, du fait de l'expérience ou des clichés ? De plus, ne pense-on pas le plus souvent à des hommes à l'évocation des élites qui gouvernent le monde des affaires, ou des sentinelles qui surveillent une enceinte militaire – bien que les termes qui les désignent ici soient féminins ? On rappellera, pour finir, qu'en allemand, le mot "fille" est… neutre, preuve que l'association entre le sexe des individus et le genre grammatical n'a rien d'évident.
Peut-être ces nuances apparaissent-elles dans le livre publié par ce chercheur. Mais il n'en est rien dans cette interview. Et pour cause : sa démarche semble avant tout militante. « Nous sommes des scientifiques et n'avons pas de recommandations à émettre », se défend-il. « En revanche », poursuit-il aussitôt, « nous pouvons dire que si l'on souhaite sortir du prisme masculin, il faut envisager des changements de pratiques et démasculiniser le langage en utilisant les différents outils que propose l'écriture inclusive ». De son point de vue, « le langage est un outil quotidien et concret de lutte contre les inégalités » ; « on pourrait même imaginer que le féminin devienne universel ! L'université de Neuchâtel (Suisse) rédige ainsi tous ses règlements au féminin avec une note précisant qu'il s'applique aussi aux hommes » ! « Mais si les formulations androcentrées demeurent malgré tout », conclut-il, « c'est parce qu'elles plaisent probablement encore à certaines personnes ».
De là à dénoncer un complot du patriarcat, il n'y a qu'un pas. N'est-ce pas se méprendre sur la nature même de la langue, et sur les ressorts de son évolution, que de suggérer qu'ils soient le fruit d'une volontés conscientes et délibérées, même si celles-ci ne sont pas sans influence bien sûr, comme on l'observe ces temps-ci, avec la prolifération des doublets du type "celles-et-ceux" ?
« "She/her", "he/him", "they/them" : des travailleurs anglophones de tous les domaines accolent aujourd'hui à leur signature courriel ou à leur profil Linkedin les pronoms avec lesquels ils souhaitent que l'on s'adresse à eux. Vous l'avez peut-être également vu en français ("il/lui", "elle/elle" ou les différentes variations utilisant des pronoms neutres, comme "iel"). »
« Signe que la tendance prend de l'ampleur, les utilisateurs du réseau professionnel LinkeiIn peuvent depuis quelques mois définir leurs pronoms. L'option facultative est offerte dans cinq pays, dont le Canada. À Montréal, Ubisoft incite aussi l'ensemble de son personnel à ajouter ses pronoms. "Il n'y a pas d'obligation, mais on encourage fortement les gens à le faire, parce qu'on pense que c'est un pas vers un milieu de travail plus inclusif", explique la conseillère en communications internes Laurane Guilbaud, qui a piloté l'initiative pour le studio de jeux vidéos. »
« Préciser ses pronoms ouvre avant tout le dialogue, souligne Florence Gagnon. "Énormément d'alliés le font pour montrer à leurs collègues et à leurs clients leur ouverture, et pour les encourager à faire part de ce qu'ils vivent." »
« La professeure Caterine Bourassa-Dansereau, du Département de communication sociale et publique de l'UQAM, remarque quant à elle que la pandémie et les confinements qui en ont découlé auront étonnamment fait avancer la question, grâce au champ réservé à l'usage des pronoms dans le profil de Zoom. »
« "Mégenrer […] constamment quelqu'un qui ne se reconnaît pas dans les pronoms classiques est un rappel douloureux de la dissonance entre la façon dont la personne se voit et la façon dont elle est perçue. Si elle doit toujours réfléchir à la meilleure manière de corriger poliment ses collègues, ça lui demande de l'énergie et ça empiète sur son rendement", soulève Mouhamadou Sanni Yaya, professeur au Département des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Rimouski (UQAR). »
« Mouhamadou Sanni Yaya est convaincu que la pratique fera boule de neige de toute façon. "C'est un phénomène contagieux. Au fur et à mesure que les gens prennent conscience des effets pervers de mégenrer, ils y adhèrent. Ce n'est donc qu'une question de temps". »
« Signe que la tendance prend de l'ampleur, les utilisateurs du réseau professionnel LinkeiIn peuvent depuis quelques mois définir leurs pronoms. L'option facultative est offerte dans cinq pays, dont le Canada. À Montréal, Ubisoft incite aussi l'ensemble de son personnel à ajouter ses pronoms. "Il n'y a pas d'obligation, mais on encourage fortement les gens à le faire, parce qu'on pense que c'est un pas vers un milieu de travail plus inclusif", explique la conseillère en communications internes Laurane Guilbaud, qui a piloté l'initiative pour le studio de jeux vidéos. »
« Préciser ses pronoms ouvre avant tout le dialogue, souligne Florence Gagnon. "Énormément d'alliés le font pour montrer à leurs collègues et à leurs clients leur ouverture, et pour les encourager à faire part de ce qu'ils vivent." »
« La professeure Caterine Bourassa-Dansereau, du Département de communication sociale et publique de l'UQAM, remarque quant à elle que la pandémie et les confinements qui en ont découlé auront étonnamment fait avancer la question, grâce au champ réservé à l'usage des pronoms dans le profil de Zoom. »
« "Mégenrer […] constamment quelqu'un qui ne se reconnaît pas dans les pronoms classiques est un rappel douloureux de la dissonance entre la façon dont la personne se voit et la façon dont elle est perçue. Si elle doit toujours réfléchir à la meilleure manière de corriger poliment ses collègues, ça lui demande de l'énergie et ça empiète sur son rendement", soulève Mouhamadou Sanni Yaya, professeur au Département des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Rimouski (UQAR). »
« Mouhamadou Sanni Yaya est convaincu que la pratique fera boule de neige de toute façon. "C'est un phénomène contagieux. Au fur et à mesure que les gens prennent conscience des effets pervers de mégenrer, ils y adhèrent. Ce n'est donc qu'une question de temps". »
« Que l'on dise que potentiellement "on peut dire iel parce que ça vient enrichir la langue et c'est un pronom neutre", pourquoi c'est si choquant? » La question est posée par Élisabeth Moreno, Ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances (telles sont effectivement ses responsabilités officielles).
De son point de vue, cet ajout à l'édition numérique du Robert constitue « un progrès pour les personnes qui ont envie de se reconnaître dans ce pronom ». Et de conclure : « Je ne vois pas ce que ça enlève à ceux qui n'ont pas envie de l'utiliser.. »
C'est oublier la fonction même de la langue : la façon dont vous vous exprimez s'impose à celui auquel vous vous adressez, quelle que soit la façon dont il vous répond. Et cela en dit long sur les mentalités qui gangrènent nos élites, inspirées par une sorte d'individualisme forcené, teinté de communautarisme, qui promeuvent une société de plus en plus fractionnée.
De son point de vue, cet ajout à l'édition numérique du Robert constitue « un progrès pour les personnes qui ont envie de se reconnaître dans ce pronom ». Et de conclure : « Je ne vois pas ce que ça enlève à ceux qui n'ont pas envie de l'utiliser.. »
C'est oublier la fonction même de la langue : la façon dont vous vous exprimez s'impose à celui auquel vous vous adressez, quelle que soit la façon dont il vous répond. Et cela en dit long sur les mentalités qui gangrènent nos élites, inspirées par une sorte d'individualisme forcené, teinté de communautarisme, qui promeuvent une société de plus en plus fractionnée.
« Vendredi 18 décembre, les élus de Périgueux (Dordogne) ont voté à la majorité pour la mise en place d'un nouveau règlement intérieur du Conseil municipal. Si de nombreux articles du texte ont été discutés, l'opposition a d'abord critiqué le passage à l'écriture inclusive. "Compte tenu de la complexité réelle de notre langue, quel est l'intérêt de cet usage militant de la pratique inclusive qui déconstruit les savoirs, complexifie les pratiques, est inaudible à l'oral, s'affranchit des faits scientifiques et exclut les locuteurs en difficulté au nom de l'idéologie", a notamment fustigé Michel Cadet, du groupe J'aime Périgueux. Précédant les prises de parole, la maire Delphine Labails avait annoncé que sa municipalité était "très attachée" à l'écriture inclusive et qu'elle la conserverait. »